La création d’une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) par un fonctionnaire représente un défi juridique complexe qui nécessite une compréhension approfondie des réglementations en vigueur. Contrairement aux salariés du secteur privé, les agents publics sont soumis à des restrictions spécifiques concernant l’exercice d’activités commerciales parallèles. Cette situation s’explique par l’obligation de neutralité et d’indépendance qui caractérise le service public français. Pourtant, l’évolution du marché du travail et les aspirations entrepreneuriales croissantes ont conduit le législateur à assouplir certaines règles, ouvrant ainsi des possibilités encadrées pour les fonctionnaires désireux de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. La SASU, par sa flexibilité et son régime social attractif, constitue souvent le choix privilégié des agents publics souhaitant développer une activité indépendante tout en conservant leur statut.
Cadre juridique de la création d’entreprise pour les agents publics
Article 25 septies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983
L’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires constitue le fondement légal autorisant les agents publics à créer ou reprendre une entreprise. Cette disposition révolutionnaire, introduite par la loi de modernisation de la fonction publique de 2007, rompt avec le principe traditionnel d’exclusivité du service public. Le texte prévoit explicitement la possibilité pour un fonctionnaire de cumuler son emploi avec une activité de création ou de reprise d’entreprise, sous réserve d’obtenir une autorisation préalable.
Cette autorisation n’est accordée que pour une durée déterminée, initialement fixée à deux ans, avec possibilité de prolongation d’une année supplémentaire. L’objectif du législateur était de favoriser l’entrepreneuriat public tout en préservant l’intégrité du service. Le dispositif s’applique indifféremment aux trois fonctions publiques : d’État, territoriale et hospitalière. La création d’une SASU entre parfaitement dans le champ d’application de cette disposition, permettant aux agents publics de bénéficier du statut d’assimilé salarié tout en dirigeant leur entreprise.
Dérogations prévues par le décret n°2017-105 du 27 janvier 2017
Le décret d’application de 2017 précise les modalités pratiques d’exercice du cumul d’activités. Il introduit plusieurs dérogations importantes qui facilitent la création d’entreprise par les fonctionnaires. Notamment, les agents travaillant à temps incomplet (moins de 70% de la durée légale) peuvent librement exercer une activité privée lucrative sans autorisation spécifique. Cette mesure concerne particulièrement les fonctionnaires territoriaux occupant des postes à mi-temps ou à temps partiel choisi.
Le décret établit également une liste exhaustive des activités accessoires autorisées sans formalités particulières. Ces activités incluent l’expertise, le conseil, l’enseignement, les services à la personne, ou encore la vente de biens fabriqués personnellement. La SASU peut constituer le véhicule juridique idéal pour exercer ces activités, offrant une protection du patrimoine personnel et une optimisation fiscale intéressante. Le texte précise que ces activités doivent rester accessoires et ne pas compromettre l’exercice des fonctions principales.
Distinction entre fonctionnaires titulaires et contractuels
La réglementation opère une distinction fondamentale entre les fonctionnaires titulaires et les agents contractuels, bien que les règles de cumul s’appliquent aux deux catégories. Les fonctionnaires titulaires bénéficient d’une sécurité d’emploi renforcée qui leur permet d’envisager plus sereinement la création d’une SASU. Leur statut leur garantit la possibilité de retrouver leur poste à l’issue de la période d’autorisation, même en cas d’échec de leur projet entrepreneurial.
Les agents contractuels, quant à eux, doivent composer avec la durée limitée de leur contrat. La création d’une SASU peut représenter pour eux une stratégie de diversification professionnelle particulièrement pertinente. Ils peuvent ainsi préparer leur reconversion tout en conservant leur emploi public. Cependant, ils ne bénéficient pas des mêmes garanties de réintégration et doivent planifier leur transition avec une attention particulière aux échéances contractuelles.
Obligations déclaratives auprès de l’autorité hiérarchique
Tout projet de création de SASU par un fonctionnaire doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de l’autorité hiérarchique. Cette obligation s’impose même dans les cas où aucune autorisation formelle n’est requise. La déclaration doit intervenir avant le commencement effectif de l’activité et contenir des informations précises sur la nature du projet, son secteur d’activité, et les modalités envisagées d’exercice.
L’administration dispose d’un délai de deux mois pour examiner la déclaration et, le cas échéant, s’opposer au projet si elle estime qu’il présente des incompatibilités avec les fonctions exercées. Cette phase déclarative constitue une étape cruciale qui conditionne la régularité de la création d’entreprise. Les fonctionnaires doivent également informer leur hiérarchie de toute modification substantielle de leur activité privée, garantissant ainsi une transparence continue.
Procédure d’autorisation préalable et démarches administratives
Demande d’autorisation auprès de la commission de déontologie
La commission de déontologie joue un rôle central dans l’examen des demandes de création d’entreprise par les fonctionnaires. Cette instance, composée de magistrats et de personnalités qualifiées, évalue la compatibilité du projet avec les obligations déontologiques du service public. La demande d’autorisation doit être formulée au moins deux mois avant la date envisagée de création de la SASU, permettant à la commission de disposer du temps nécessaire pour son instruction.
Le dossier de demande comprend plusieurs éléments obligatoires : une description détaillée de l’activité envisagée, l’identification des clients potentiels, les modalités d’exercice prévues, et une analyse des risques de conflits d’intérêts. La commission examine particulièrement les liens susceptibles d’exister entre l’activité privée et les fonctions publiques exercées. Elle vérifie que la création de la SASU ne compromet pas l’indépendance, la neutralité et la dignité des fonctions publiques.
Délais d’instruction et critères d’évaluation
L’instruction des demandes d’autorisation suit un calendrier strict défini par la réglementation. La commission de déontologie dispose d’un délai maximum de deux mois à compter de la réception du dossier complet pour rendre son avis. Ce délai peut être prorogé d’un mois supplémentaire dans les cas complexes nécessitant des investigations approfondies. L’absence de réponse dans les délais impartis vaut avis favorable, principe qui protège les fonctionnaires contre les lenteurs administratives.
Les critères d’évaluation retenus par la commission sont multiples et rigoureux. Elle examine la compatibilité secteur ielle de l’activité, les risques de concurrence déloyale, les possibilités de conflits d’intérêts, et l’impact sur l’exercice des fonctions principales. La commission vérifie également que la création de la SASU n’utilise pas indûment les moyens du service public et ne compromet pas la continuité du service. Ces critères s’appliquent avec la même rigueur quel que soit le niveau hiérarchique du demandeur.
Documents justificatifs requis pour le dossier
La constitution du dossier d’autorisation nécessite la production de plusieurs documents justificatifs essentiels. Le formulaire de demande doit être complété avec précision, accompagné d’une description détaillée du projet de SASU incluant l’objet social, le capital envisagé, et les prévisions d’activité. Les statuts provisoires de la société doivent également être joints, permettant à la commission d’apprécier l’organisation prévue.
D’autres pièces complémentaires peuvent être exigées selon la nature du projet : business plan, études de marché, contrats-types avec la clientèle, ou justificatifs de compétence technique. Pour les activités réglementées, les autorisations sectorielles doivent être obtenues préalablement. La qualité et l’exhaustivité du dossier conditionnent largement les chances d’obtenir une autorisation favorable, d’où l’importance d’une préparation minutieuse.
Recours en cas de refus d’autorisation
En cas de refus d’autorisation, plusieurs voies de recours s’offrent au fonctionnaire. Le recours administratif constitue la première étape, permettant de demander le réexamen du dossier par la même instance. Cette procédure, gratuite et relativement rapide, peut aboutir à une révision de la décision initiale si de nouveaux éléments sont apportés ou si des erreurs d’appréciation sont démontrées.
Si le recours administratif s’avère infructueux, le recours contentieux devant le tribunal administratif reste possible. Cette procédure judiciaire permet un contrôle approfondi de la légalité de la décision de refus. Le juge administratif vérifie que l’administration a correctement appliqué les critères légaux et que la décision est proportionnée aux enjeux identifiés. La jurisprudence administrative tend à reconnaître un droit croissant à l’activité économique pour les fonctionnaires, sous réserve du respect des obligations déontologiques.
Régimes de cumul d’activités applicables aux fonctionnaires
Cumul à temps complet avec autorisation
Le cumul à temps complet représente la situation la plus courante pour les fonctionnaires souhaitant créer une SASU tout en conservant leur emploi principal. Cette modalité exige une autorisation préalable et s’accompagne de contraintes strictes destinées à préserver l’efficacité du service public. La durée du cumul est limitée à trois ans maximum, période au terme de laquelle le fonctionnaire doit choisir entre ses deux activités ou solliciter une nouvelle autorisation dans des conditions particulières.
Durant la période d’autorisation, le fonctionnaire conserve l’intégralité de ses droits et obligations statutaires. Sa rémunération publique n’est pas affectée, et il continue de cotiser aux régimes de retraite de la fonction publique. Parallèlement, sa qualité de président de SASU lui confère le statut d’assimilé salarié avec les cotisations sociales correspondantes. Cette double cotisation, bien qu’onéreuse, offre une protection sociale renforcée et des droits à retraite supplémentaires.
Cumul à temps partiel de droit
Le temps partiel de droit constitue une alternative intéressante pour les fonctionnaires désirant équilibrer leur investissement entre service public et activité entrepreneuriale. Cette modalité permet de réduire la quotité de travail public jusqu’à 50% minimum, libérant du temps pour le développement de la SASU. L’administration ne peut s’opposer à une demande de temps partiel pour création d’entreprise, dès lors que les nécessités de service le permettent.
Le passage à temps partiel s’accompagne d’une réduction proportionnelle de la rémunération publique, mais préserve tous les autres avantages du statut. Les droits à avancement et à retraite sont calculés au prorata du temps travaillé, avec possibilité de surcotisation pour maintenir une retraite à taux plein. Cette formule convient particulièrement aux fonctionnaires expérimentés disposant d’une assise financière suffisante pour supporter la baisse de revenus temporaire.
Mise en disponibilité pour création d’entreprise
La mise en disponibilité représente la solution la plus radicale, permettant au fonctionnaire de se consacrer entièrement à son projet de SASU. Cette procédure suspend le contrat de travail public pour une durée maximale de cinq ans, renouvelable une fois. Le fonctionnaire ne perçoit plus de rémunération de l’administration mais conserve sa vocation à réintégrer son corps d’origine à l’issue de la disponibilité.
Cette formule convient aux projets entrepreneuriaux ambitieux nécessitant un investissement personnel important. Elle évite les contraintes du cumul d’activités et permet de se concentrer exclusivement sur le développement de l’entreprise. Toutefois, elle présente des risques financiers non négligeables, notamment l’absence de revenus garantis et la perte temporaire des avantages sociaux de la fonction publique. Une préparation financière rigoureuse s’impose avant d’opter pour cette solution.
Congé pour création d’entreprise selon l’article 60 bis
L’article 60 bis du statut de la fonction publique d’État institue un congé spécifique pour création d’entreprise, d’une durée maximale de deux ans non renouvelable. Ce dispositif, moins connu que la disponibilité, offre des garanties particulières puisque la réintégration s’effectue de plein droit dans le poste d’origine ou un emploi équivalent. Cette procédure convient parfaitement aux fonctionnaires souhaitant tester un projet de SASU sans compromettre définitivement leur carrière publique.
Le congé pour création d’entreprise ne peut être accordé qu’une seule fois au cours de la carrière, ce qui en fait une option à utiliser judicieusement. Pendant cette période, le fonctionnaire ne perçoit aucune rémunération publique mais peut souscrire une assurance chômage volontaire ou bénéficier d’aides publiques à la création d’entreprise. La qualité de président de SASU lui permet de percevoir une rémunération de dirigeant et d’optimiser sa protection sociale selon ses besoins.
Spécificités fiscales et sociales de la SASU pour fonctionnaires
La création d’une SASU par un fonctionnaire génère une situation fiscale et sociale particulière qui nécessite une gestion experte. Sur le plan fiscal, le cumul d’activités entraîne une double imposition : les traitements publics relèvent de la catég
orie des traitements et salaires selon les règles habituelles, tandis que la rémunération de président de SASU suit le régime des assimilés salariés. Cette double imposition peut générer un taux marginal d’imposition élevé, particulièrement pour les fonctionnaires situés dans les tranches supérieures du barème progressif.
Sur le plan social, la situation se complexifie davantage. Le fonctionnaire continue de cotiser aux régimes de retraite publics sur ses émoluments statutaires, tout en acquittant des cotisations sociales sur sa rémunération de dirigeant. Cette double cotisation représente un coût non négligeable mais ouvre des droits supplémentaires, notamment en matière de retraite complémentaire et d’assurance chômage. Les prestations sociales sont versées par le régime principal, généralement celui de la fonction publique pour un fonctionnaire en cumul.
L’optimisation fiscale de la SASU offre néanmoins des leviers intéressants. Le choix entre rémunération et dividendes permet d’ajuster la fiscalité selon la situation personnelle. Les dividendes, soumis au prélèvement forfaitaire unique de 30%, peuvent s’avérer plus avantageux que la rémunération pour certains profils. De plus, la SASU peut opter pour l’impôt sur le revenu pendant les cinq premières années, permettant une imposition directe des bénéfices dans le patrimoine personnel du fonctionnaire.
Incompatibilités sectorielles et restrictions d’activité
Les incompatibilités sectorielles constituent l’un des aspects les plus délicats de la création d’entreprise par les fonctionnaires. Ces restrictions visent à prévenir les conflits d’intérêts et à garantir l’impartialité du service public. Un fonctionnaire ne peut exercer d’activité privée dans un secteur directement lié à ses fonctions officielles ou susceptible de compromettre son indépendance professionnelle.
Par exemple, un agent des services fiscaux ne saurait créer une SASU de conseil fiscal, un fonctionnaire des marchés publics ne peut développer une activité de conseil aux entreprises candidates, et un inspecteur du travail ne peut exercer comme consultant en droit social. Ces interdictions s’étendent aux secteurs connexes et aux activités indirectement liées aux prérogatives publiques exercées. La jurisprudence administrative a progressivement précisé ces contours, établissant une doctrine stricte en matière de prévention des conflits d’intérêts.
Les restrictions géographiques constituent un autre volet important. Un fonctionnaire territorial ne peut généralement pas exercer d’activité privée sur le territoire de sa collectivité de rattachement, sauf dérogation expresse. Cette règle vise à éviter que l’agent public tire profit de sa connaissance des dossiers locaux ou de ses relations professionnelles. La commission de déontologie examine systématiquement ces aspects lors de l’instruction des demandes d’autorisation, appliquant le principe de précaution en cas de doute sur la compatibilité.
Certains corps de fonctionnaires font l’objet d’interdictions renforcées en raison de leurs prérogatives particulières. Les magistrats, les membres des corps de contrôle, les agents des services de renseignement ou encore les fonctionnaires occupant des emplois à la décision du gouvernement sont soumis à des restrictions étendues. Ces limitations peuvent perdurer plusieurs années après la cessation des fonctions, créant des « obligations de loyauté post-contractuelles » particulièrement contraignantes pour les projets entrepreneuriaux.
Sanctions disciplinaires et conséquences du non-respect
Le non-respect des règles de cumul d’activités expose le fonctionnaire à un arsenal de sanctions disciplinaires dont la sévérité dépend de la gravité des manquements constatés. La palette des sanctions s’échelonne de l’avertissement jusqu’à la révocation, en passant par le blâme, l’exclusion temporaire de fonctions ou la rétrogradation. Ces sanctions peuvent se cumuler avec des mesures de restitution financière particulièrement lourdes de conséquences.
La procédure disciplinaire suit un formalisme rigoureux garantissant les droits de la défense. L’agent mis en cause bénéficie d’un accès au dossier, peut se faire assister par un conseil et présenter ses observations devant le conseil de discipline. Cependant, la charge de la preuve de la régularité des activités privées pèse sur le fonctionnaire, qui doit pouvoir justifier du respect de toutes les obligations déclaratives et d’autorisation.
Au-delà des sanctions disciplinaires, les conséquences financières peuvent s’avérer désastreuses. L’administration peut exiger la restitution intégrale des sommes perçues au titre de l’activité non autorisée, assortie d’intérêts de retard. Cette créance peut être recouvrée par retenues sur traitement, créant des difficultés financières durables. Les juridictions pénales peuvent également être saisies en cas de prise illégale d’intérêts, infraction punie de sanctions pénales et de l’interdiction d’exercer certaines activités.
La régularisation a posteriori reste possible dans certains cas, notamment lorsque les manquements résultent d’une méconnaissance des règles plutôt que d’une volonté délibérée de les contourner. Cependant, cette voie demeure exceptionnelle et ne dispense pas des sanctions, même si elle peut conduire à leur atténuation. La meilleure protection réside donc dans le respect scrupuleux des procédures et la demande systématique d’autorisations préalables, même en cas de doute sur leur nécessité.